lundi 16 février 2009

Naissance d'une Nation... et du cinéma raciste hollywoodien

Et si on reprenait du début ??

Je parle souvent de la Blaxploition. Mais si ce "courant" du cinéma américain me semble important -outre ses couleurs flashies, ses pimps, ses héroïnes charismatiques et ses black panthers- c'est parce qu'il tranche radicalement avec l'images et les rôles des Africains-Américains véhiculés depuis presque un siècle par le cinéma d'Hollywood. Jusque dans les années 60 -à de très rares exceptions près- l'industrie hollywoodienne a cantonné les Noirs dans des rôles au mieux de nounous débonnaires et de serviteurs fidèles, au pire de perverses métisses, de débiles ou de violeurs.

THE BIRTH OF A NATION - David Wark Griffith (1915)
« Le gouvernement avait dissout en 1870 cette organisation violemment raciste et qui préfigurait par certains côtés les fascismes mussolinien et hitlérien. Mais le Klan avait en fait survécu, et les réactionnaires sudistes rêvaient de sa renaissance. Elle se produisit en effet ultérieurement, sur une grande échelle, à partir de l’automne 1915. […] Le livre de Thomas Dixon, le film de Griffith, par leur apologie du Klan furent des oeuvres de propagande qui contribuèrent à faire renaître l’organisation terroriste. »
(SADOUL Georges, Histoire générale du cinéma)

The Birth of a Nation est le premier grand film américain. Griffith va imposer une réalisation nouvelle, faite de changements de plan et de montage. La prouesse est aussi technique, puisqu’il invente le long métrage en filmant sur quatre bobines (jusqu’alors la norme étant une, voire deux pour les plus hardis). Il dure près de trois heures. Peu modeste, Griffith semble conscient de la place de son oeuvre dans l’histoire naissante du cinéma ; pour preuve le film débute par ce plaidoyer : « Une place pour le septième art. Nous ne craignons pas de paraître indécents ou obscènes aux yeux de la censure, mais nous revendiquons comme un droit la liberté de montrer la face obscure des choses pour mieux en éclairer la face vertueuse. La même liberté qui est accordée à l’art de la littérature, cet art auquel nous devons la Bible et l’oeuvre de Shakespeare. »
Par ailleurs, il est resté dans l’histoire du cinéma comme le premier film « à grand spectacle ». Il mobilise plusieurs centaines de figurants et met en images des reconstitutions historiques -du moins ce que Griffith considère comme l’Histoire- de batailles épiques de la Guerre de Sécession et affrontements des armées de Lee et de Grant, de l’assassinat d’Abraham Lincoln…
Pour le scénario de son film, David Wark Griffith s’inspire très largement des écrits racistes du pasteur Thomas Dixon et en particulier de The Clansman (comme précisé dans l’introduction du film). Le film met en scène une famille de propriétaires, les Cameron, dans la ville de Piemont. Ils sont pris dans les affres de la Guerre de sécession : pillés par les Yankees et mis sous la coupe des Noirs, menés par le mulâtre Sylas Lynch. Le Ku Klux Klan, créé par un des fils de la famille, viendra à bout de la terreur noire et restaurera les valeurs du Sud (« Grâce au Ku Klux Klan, le Sud a été sauvé de l’anarchie du régime noir. »).

Ce film produit les cinq figures noires majeures (à lire en anglais : Donald Bogle, Toms, Coons, Mullattoes, Mammies and Bucks) du cinéma américain, hollywoodien en particulier : le Tom, le coon, la mulâtre malheureuse, la mammy et le black buck. Dans The Birth of a Nation, ces figures sont réparties entre cinq personnages noirs majeurs : Mammy, Lydia Brown, « le serviteur » des Cameron, Sylas Lynch et Gus. Ceux-ci peuvent être classés en deux catégories distinctes et opposées : d’abord les Noirs qui restent fidèles aux Cameron, les propriétaires blancs, ces Noirs qui connaissent et respectent les lois du Sud. En second lieu, les Noirs qui veulent l’égalité, ceux qui s’émancipent, se libèrent au prix du sang voire de « l’oppression raciale » des Noirs sur les Blancs.

-->Les serviteurs fidèles : « le serviteur » et Mammy
Dans la première catégorie, on retrouve essentiellement les domestiques d’intérieur, en l’occurrence Mammy et « le serviteur » (servant tous les deux chez les Cameron) et le majordome de Stoneman (l’ami nordiste des Cameron).
Mammy est grosse, d'un certain âge. Elle est forte de caractère et commande aux autres noirs. Elle est comme un membre de la famille Cameron ; elle est présente dans la première scène où l'on voit les Cameron. Elle est à l'unisson sentimental de ses maîtres : attendrie pour les scènes d'amour filial, compatissante aux malheurs de ses propriétaires.
Le serviteur est un personnage à qui le film n'attribue aucun nom. Il est une des figures communes du nègre : le coon. Il est victime des Noirs libres qui lui reprochent d’être encore au service de ses maîtres et qui tentent de le pendre6. Naïf, niais et fidèle, il se tient le dos courbé, la tête affaissée entre les épaules et les yeux écarquillés. Ces deux personnages sont ouvertement sudistes, pro-esclavagistes -même si rien n’est clairement affiché dans ce sens- et fidèles, malgré leur liberté acquise -officiellement- face à leurs anciens maîtres. On trouve des exemples de cette fidélité à plusieurs reprises lorsque Mammy réprimande un noir se moquant de son maître -soutenue par l’interstice : « Leurs braves serviteurs leur viennent en aide. »-, ou qu’avec « le serviteur », ils organisent la libération de Cameron, emprisonné par les Yankees qui le livrent à la foule noire en furie.

La figure du Tom, le serviteur fidèle, est mise en avant par The Birth of a Nation. Ainsi, le majordome de Stoneman, le nordiste libéral, est un Tom. En effet, ce n’est pas un esclave, il est d’ailleurs présenté comme « un Noir libre du Nord » ; mais sa liberté n’est pas visible à l’image, il n’existe que pour son maître, seulement pour le servir : il lui sert de majordome, de porteur, de cocher…

-->La menace noire : les mulâtres et les violeurs
L’autre catégorie rassemble les noirs au service des yankees. Les mulâtres sont des métis représentés avec la peau plus claire) et sont présentés objectivement par Griffith comme les personnages les plus dangereux, avec les violeurs. Or, ces deux dangers sont la mise en image de ce que les suprémacistes du Klan redoutent et condamnent par-dessus tout : la miscegenation, le métissage ; miscegenation synonyme à leurs yeux de la fin de la pureté de la race blanche. Il promeut -si ce n’est consciemment, du moins dans les faits- la preuve que le métissage est un échec, voire un danger, puisque les Noirs les plus malfaisants, et possédant du pouvoir, sont des mulâtres. Lydia Brown, Sylas Lynch, et même Gus (qui n’est pas un mulâtre) sont là pour personnifier la même idée, celle du Ku Klux Klan : « le nègre qui charrie dans son sang le désir forcené du mélange des races, est plus dangereux qu’une bête sauvage et il doit être et sera sous contrôle. »
Lydia Brown, présentée comme une « mulâtre », n'apparaît que dans la première partie du film (et l'introduction de la deuxième). Elle nous est d'emblée présentée comme réticente envers les blancs et ne remplissant pas correctement ses tâches de service. Elle est vicieuse, calculatrice, sexuelle... Elle est plus tard montré comme les autres Noirs, incapables d’exprimer ses sentiments en dehors de l'exubérance. Comme, par exemple, lors de la réunion d’intronisation de Sylas Lynch où elle fait de grands yeux écarquillés et tape frénétiquement des mains, en signe d’acquiescement.
Sylas Lynch n'apparaît qu'au début de la deuxième partie. Ses traits sont caucasiens (il ressemble plus à une caricature antisémite du début du XIXème en Europe qu'à une caricature d'un Nègre) et il est en effet qualifié de « mulâtre chef des noirs. ». Il doit son rang à un blanc puissant, le nordiste Stoneman. Lynch se sert de son pouvoir pour construire un parti noir qui dirige peu à peu la ville de Piemont et ses habitants blancs, et ce par tous les moyens : inciter les noirs à ne plus travailler, leur donner des habits et à manger, faire des réunions et promettre aux Noirs l’égalité, empêcher les blancs de voter ou lorsqu’il tue d’ "innocents" Klansmen. Le sommet de son ignominie est la tentative de viol perpétrée contre la fille de son protecteur, la virginale Elsie Stoneman. Il la brutalise, les yeux exorbités, la mâchoire avancée et les doigts recroquevillés comme des serres.

Mais les signes préparant le spectateur à cette tentative de viol -empêchée par les chevaliers du Klan- sont nombreux : il la regarde avec ses gros yeux et sa mâchoires avancée -l'air envieux- puis il l’espionne dans la forêt ou s’oppose à son prétendant, le fils des Cameron…
Le dernier personnage, Gus, n'apparaît vraiment que dans quelques scènes, dont une centrale ; celle de la longue (plus de 10 minutes) poursuite et de la tentative de viol de la jeune Flora Cameron. Alors qu’elle joue avec un écureuil dans la forêt, il l’accoste, lui fait des avances qu’elle refuse en s’enfuyant. Il la poursuit, et elle préfère mourir en se jetant d’une falaise. Gus se cache et « les hommes de la ville se mettent à la recherche du coupable, afin qu’il soit légalement jugé par le sombre tribunal de l’Empire Invisible. » Largement complaisant, le réalisateur nous montrera Gus jugé et pendu par les hommes du Ku Klux Klan.

-->Des Noirs dépendants du Blanc
Dans les deux cas, qu’ils soient fidèles ou dangereux, les Noirs sont placés comme dépendants du blanc. Même les soldats du Nord sont présentés comme manipulés par les blancs, leur attitude (pillages, lynchages, oisiveté, profits extorqués aux sudistes…) sont la conséquence des politiques de Lincoln et des Yankees. Mais même dans la narration, les Noirs sont tributaires des Blancs : l’oisiveté des Noirs est incitée par les Blancs, les Blanches attirent les « mâles nègres », l’émancipation est accordée par les Blancs, les propriétaires sudistes, et leurs esclaves, sont oppressés par les blancs, dont les noirs ne sont que le jouet…
Bien entendu, ces deux fractions majeures sont en opposition. Mammy les traite de « Petite vermine du Nord » ou s’étonne (en condamnant) de leur nouveau statut « des noirs libres du Nord ! » ; tandis que les « noirs libres » organisent le lynchage des esclaves refusant l’émancipation.
Mais quelque soit le « bord » représenté par le noir, les caractéristiques physiques et morales varient peu : yeux globuleux et fuyants, faciès lâches, épaules voutées, tête tirant vers le bas, lèvres proéminentes, mâchoire inférieure avancée en signe de mécontentement ou d’attaque…
De nombreuses critiques s’élevèrent à la sortie du film, mais ce long métrage marque le début non seulement du cinéma hollywoodien, mais aussi la production et l’implantation dans le cinéma des figures noires, négatives et/ou dépendantes du Blanc. Hollywood prospéra aussi bien que ces représentations...

Ces 5 figures noires vont être réutilisée de façon caricaturale tout au long de l'histoire du cinéma ou de la télévision américaine (de Autant en Emporte le Vent à Forrest Gump ou La Couleur Pourpre, en passant par la série Desperate Housewives). A de rares exceptions près, c'est dans les années 70, avec le cinéma de Blaxploitation que l'on va voir arriver des figures noires positives, des héros tout ce qu'il y a de surhumains comme Hollywood n'en avait jamais créé que pour les Blancs...

Allez, je vous laisse avec ce montage de scènes du film sur le Burn, Hollywood, Burn ! de Public Ennemy !

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