jeudi 11 mars 2010

The Color Purple

Puisque dans le billet précédent, j'évoquais Margaret Avery, voilà une fiche sur son plus grand rôle, celui de Shug Avery, dans La Couleur pourpre. Spielberg adaptate un roman d’Alice Walker, écrivaine noire féministe qui reçut le prix Pullitzer pour ce roman. Selon John Baxter -biographe de Spielbeg- le film à sa sortie « est attaqué de toutes parts : il est taxé de raciste par les Afro-Américains, d’homophobe par les lesbiennes outrées que Spielberg ait occulté cet aspect du roman, et de sirupeux pour la plupart des critiques, jugeant que la dénonciation par Alice Walker de la violence et du racisme a été transformée en film new age gnangnan ». Pourtant, The Color Purple rapporte 14 millions de dollars (dont 9,5 millions aux Etats-Unis) et reçoit onze nominations aux Oscars.

THE COLOR PURPLE - Steven Spielberg (1985)


Le Vieux Sud du début du XXème siècle. Célie est une jeune fille ; son père la viole dès son plus jeune âge et il est aussi le père de ses propres enfants. A l’âge de 14 ans, elle est séparée de ses enfants puis de sa soeur Nettie.
Celie (Whoopie Goldberg) vit sa vie en servant Monsieur (Danny Glover), son mari, qui la traite comme une esclave.
La petite famille s'agrandit, Harpo, le fils un peu simplet de Monsieur se marie avec la volubile Sophia (Oprah Winfrey) ; Celie se lie d'amitié avec Shug (Margaret Avery), la maîtresse de Monsieur, qui va la pousser à ne pas se laisser faire...

Avec ce film, Spielberg remet en scène des caricatures oubliées depuis des années (voir mon billet sur Donald Bogle).
Une sorte d'Oncle Tom au féminin, Celie. Quelque soit son âge (elle a entre 12 et 50 ans, du début à la fin du film), elle est montrée un peu enfantine, dans ses vengeances ou ses moments de rébellion : elle crache -en cachette- dans le verre d’eau de « Monsieur-Père » qu’elle déteste et lui fait boire comme si de rien n’était, elle lit en cachette les lettres retrouvées de sa soeur Nettie… Mais la rébellion, la lutte, sont des états impossibles pour elle. Elle l’avoue même : « Je sais pas me battre. Moi, tout ce que je sais, c’est rester en vie. »

A l’opposé de Celie, Spielberg renoue avec les aunt jemina, les nounous avec le personnage de Sofia (Oprah Winfrey magistrale dans son premier long métrage), la femme de Harpo. Femme forte, elle n’hésite pas tenir tête à Monsieur, à ne rien se laisser dicter par son mari, le quitter quand il la bat et s’afficher avec un autre homme. Mais elle part en prison et en ressort le dos voûté, la tête pendante -elle a « adopté » les caractéristiques physiques des figures noires du début du siècle...
C’est donc un personnage, dans un premier temps, révolté que nous a montré Spielberg, mais c’est aussi un personnage qui est cassé pour avoir fait preuve de révolte. C’est le cas de nombreux Noirs révoltés portés à l’écran : « le discours de ces films hollywoodiens tend à condamner les héros noirs trop revendicatifs ; lorsque le personnage sort un peu du "modèle Tom", il est rapidement éliminé (Coalhouse Walker dans Ragtime, Biko dans Cry Freedom) ou sévèrement puni (Sophia dans La Couleur Pourpre). Finalement, au même titre que les autres, ces personnages ne représentent pas une menace pour la société. » (Régis Dubois, Images du Noir dans le cinéma américain blanc (1980-1995)).


Autre figure tirée de la mythologie raciste hollywoodienne, celui de la tragic mullattoe, littéralement la "mulâtresse tragique", femme métisse indépendante et à la sexualité débridée (ce qui n'est pas un point positif dans le cinéma hollywoodien).
Celui aussi des coons, avec Harpo : élément comique par sa niaiserie, ses yeux vides et quasi-exorbités, incapable de faire quelque chose de ses mains, soumis à son père d’une part, et sa femme Sofia. Il tente de la battre, pour être lui aussi « un homme ». Là encore le ridicule l’emporte : il se fait taper par sa femme qui lui inflige un oeil au beurre noir35 et est obligé de mentir à son père en lui disant qu’il a eu un accident.

Mais, pire que tout, Spielberg fait renaître le personnage du Black Buck, le Noir violent, dangereux sexuellement (on n'avait jamais revu un tel personnage depuis l'ode Ku Klux Klan, Naissance d'une Nation). Assénant des morales telles que « Nos femmes, c’est comme nos gosses. Faut leur montrer qui c’est qui commande. Y a rien de tel qu’une bonne raclée », Monsieur est un véritable tyran : il « achète » Celie, pour qu’elle lui serve de femme, lui interdit tout, l'empêche d’apprendre à lire (ainsi comparé dans un racisme déconcertant tant la ficelle est énrome aux hommes d’une tribu africaine qui refusent d’instruire les filles -plus tard dans le film-).
Tous les procédés cinématographiques sont bons pour faire de Danny Glover un monstre sanguinaire : crises de colère, le visage écumant, filmées en gros plan et en contre plongée !
Mais Monsieur est aussi dangereux « sexuellement ». Il tente de violer la jeune Nettie ; certes celle-ci est noire, mais la mise en scène la « blanchit » (robe blanche, livres scolaires, plan en plongée…). De plus, le « détail » des photos -un plan de quelques secondes sur des photos de femmes blanches que Monsieur tenaient cachées- contribue à l’idée que si Monsieur ne représentait qu’un danger pour la femme noire, il s’intéresse aussi à la blanche.
Ces deux scènes ne figurent pas dans le roman d'Alice Walker. tandis qu'à l'inverse, l'amour entre Celie et Shug est oublié par Spielberg ; un chaste baiser remplace les longues scènes du roman où Shug apprend à Celie à découvrir son corps. Ces changements de taille contribuent à transformer l'oeuvre féministe et anti-raciste de Walker en une sirupeuse tragédie au racisme latent !
Il ne fait ni un film anti-raciste, ni un film féministe ; ici les opprimées ne résistent, elles subissent (le Blanc raciste comme le mari violent).Pour les petites histoires, le montage est assuré par Michael Kahn (qui fit ses armes sur des production soul dans les années 70).

Trois appartitions notables : un des premiers grands films de Laurence Fishburne, la dernière apparition sur grand écran de Drew Bundini Brown (proche de Muhammad Ali, qui tourna aussi dans Shaft, Shaft's Big Score et Aaron Loves Angela) et un petit rôle pour l'inoubliable Mr. Brooks de Five On the Black Hand Side : Leonard Jackson.

1 commentaire:

Narcy a dit…

Superbe analyse du film !
Je connaissais les différentes types de Noirs représentés dans le cinéma américain avant de (re)voir le film mais j'avoue que je n'avais pas fait réellement attention aux personnages...