La décennie 90 commence bien mal ; d'autant plus mal que le grand acteur et réalisateur Sidney Poitier livre une dernière production minable : Ghost Dad. Mais la même année, un petite comédie titrée House Party apparemment insignifiante sonne le départ d'une nouvelle vague de réalisateurs afro-américains talentueux et d'un genre à part entière qui va inonder les écrans, les urban movies, les films sur le ghetto, dont les plus importants -que j'ai chroniqué voilà quelques mois- sont Boyz N the Hood, New Jack City, Juice ou encore Menace II Society.
Une nouvelle génération de réalisateurs et d'acteurs
Mais à la différence de ses films sérieux et sombres, House Party offre un vision à la fois rafraichissante et pertinente des problèmes de la jeunesse noire. En outre, deux séquelles suivront : House Party 2 et House Party 3, tout deux réalisés par des afro-américains, ce qui contribue à garder l'esprit léger et impliqué de l'original.
Le succès permet surtout à Reginald Hudlin de s'imposer aux cotés des Spike Lee et autres John Singleton. Hudlin préfère les comédies aux chroniques sociales de ses collègues : il livre le très bon Boomerang, une comédie sentimentale où il offre à Eddie Murphy sa première scène d'amour (en 10 ans de carrière), puis le réjouissant The Great White Hype sur l'univers de la boxe.
Un autre réalisateur noir profite à fond cette décennie : Robert Towsend, découvert grâce à Hollywood Shuffle. Il réalise The Five Heartbeats, The Meteor Man et B*A*P*S ; le premier sur un groupe soul, le second sur un super-héros "ordinaire", le dernier -plus décevant- narrant la rencontre de deux afro-américaines d'un milieu populaire avec la grande bourgeoisie blanche.
Spike Lee livre une comédie intimiste, Crooklyn, et son ancien chef opérateur Ernest R. Dickerson un film d'action au duo interracial : Bulletproof.
La famille Wayans s'impose dans ces 90s : Keenen Ivory avec A Low Down Dirty Shame, Damon avec Mo'Money, Blankman, Major Payne , Celtic Pride et Bulletproof, et enfin Marlon et Shawn (qui joue seul dans The 6th Man) propose la parodie bien sentie des films de gang : Don't Be a Menace to South Central While Drinking your Juice in he Hood.
Deux acteurs qui s'étaient illustrés dans la Blaxploitation reviennent, endossant le costume de réalisateur. D'abord Kevin Hooks, jeune acteur prometteur de drames des 70s, et fils de l'acteur Robert Hooks : il réalise presque par hasard Strictly Business, sa seule comédie avant de tourner un remake de La chaîne puis il se spécialise dans les bons gros films d'action (dont Passenger 57). Ensuite Bill Duke qui la séquelle Sister 2 Back in the Habit (il prouvera son talent à d'autres occasions, comme les très bien sentis A Rage in Harlem et Hoodlum)
La représentation de la sexualité a toujours été un marqueur important : consciensieusement "oubliée" dans les films hollywoodiens grand public, elle est presqu'exclusivement représentée par des réalisateurs afro-américains. Et cette décennie est marquée par une floppée de comédies romantiques inédites : Boomerang, Strictly Business (de Kevin Hooks), Jungle Fever, Sprung (de et avec Rusty Cundieff), Booty Call (qui lance Jamie Foxx), A Thin Line Between Love and Hate (réalisé par Martin Lawrence)
Persistance des stéréotypes
Si l'on s'arrête là, on peut avoir l'impression que tout s'est arrangé et que les Afro-Américains ont repris le pouvoir sur leur propre représentation. Mais il subsiste encore, en parallèle, des productions très stéréotypées qui utilisent les grands acteurs afro-américains dans des rôles consensuels (c'est à dire acceptable pour un public blanc).
C'est le cas des inégales aventures de Whoopie Goldbeg (Sister Act, Sister 2 Back in the Habit, Made in America, Bogus et Eddie), du retour peu convaincant d'Axel Foley/Eddie Murphy dans Le Flic de Beverly Hills III et des scatologiques Professeur Foldingue puis de La famille Foldingue (malgrès une prestation talentueuse de Murphy en plusieurs personnages) et du gentillet Dr. Dolittle ainsi que dans une moindre mesure, de Bad Boys et Flic de haut vol avec Martin Lawrence.
Film noir/Film blanc
On peut toujours tracer une vrai ligne de partage entre films réalisés et/ou produits par des Afro-Américains ou des Blancs. Avec la blaxploitation, tous les héros noirs étaient positifs, voire sur-humain. Les années 80 marquaient un recul, on l'a vu, avec la renaissance de stéréotypes du noir comique asexué et apolitique. Seuls quelques films sortaient du lot (ceux de Spike Lee ou Robert Towsend, ou lorsqu'Eddie Murphy participait à ses scénarios). Dans la décennie 90, c'est l'explosion des films par, pour et avec les Afro-Américains.
Les productions où sont étroitement associés les Afro-Américains restent donc les plus justes dans la représentation de la communauté noire, dans la diversité des personnages, dans l'expression de la culture et des modes de vie...
La dichotomie entre productions noire et blanche persiste donc. Eddie Murphy et Martin Lawrence sont l'exemple même de ce phénomène : ces grands acteurs font des films commerciaux en acceptant des rôles plus ou moins débiles, mais dans le même temps, il produisent voire réalisent des films où ils s'offrent des rôles plus profonds, plus percutants et moins manichéens (hors de la comédie, c'est aussi le cas de mario VanPeebles qui enchaîne les nanars comme acteur, mais réalise d'excellents longs métrages très "black power").
Le retour de personnages noirs ordinaires (entendez non caricaturaux) se fait presqu'uniquement grâce à la volonté farouche de réalisateurs afro-américains à partir de 1986. A l'époque le discours est militant, les personnages se battent (contre le racisme, contre la société misogyne, contre "The Man"...), ils ont une cause et évoluent quasi-exclusivement dans la communauté afro-américaine, comme pour prendre le contre-pied de ces films hollywoodien où le héros noir vit uniquement au milieu des Blancs et est totalement acculturé. Dans les années 90, on sent qu'une nouvelle étape est franchie, puisque les héros sont maintenant plongés dans un monde "réel", mais tout en gardant leur intégrité, leur personnalité, leur culture, leurs codes... Ces films ne se réduisent pas à une dénonciation du racisme ou des conditions d'existence de Noirs, mais proposent de nombreux sujets du plus sérieux au plus futile.
Les acteurs et personnages blancs prennent même dorénavant leur place dans ces films (souvent dans des rôles subalternes, mais pas uniquement dans le rôle des méchants, comme dans la blax'). Damon et Keenen Ivory Wayans se posent spécifiquement sur ce créneau (ce dernier a d'ailleurs ouvert son show TV In Living Colors à des actrices et acteurs blancs -dont Jim Carrey qu'il contribue à faire percer).
L'émergence des films commerciaux à consonnances hip-hop (comme Friday avec Ice Cube et Chris Rock, I Got the Hook Up de Master-P, Woo avec Jada Pinkett Smith, How To Be A Player) bouleversent les cartes. Souvent réalisés ou appuyés par des rappeurs noirs, ils proposent des caricatures qui semblaient oubliées et suintent d'une misogynie forcenée. Seuls CB4 dénonce avec humour ces excès et Half Baked prend le parti de traiter par l'absurde la consommation d'herbe.
A l'inverse, on compte sur les doigts de la main les films de réalisateurs blancs particulièrement réussis et respectueux de leurs personnages noirs : une comédie politique incomparablement géniale de Warren Beatty : Bulworth, la comédie hilarante de Franck Oz avec Steve Martin et Murphy : Bowfinger, et la grande fresque du duo Murphy/Lawrence : Life.
Déplorable pour la première et porteuse d'espoir pour la seconde, ces tendances vont connaître des fortunes diverses dans les années qui suivent. Les films outranciers mettant en vedette des rappeurs vont se multiplier avec leur lot de nouveaux clichés, tandis que rare resteront les réalisateurs blancs à s'intéresser et à représenter positivement les Afro-Américains, et en particulier dans les comédies...
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Quelle culture, vraiment. Et surtout dans le domaine de la Blacksploitation. Ce qui n'est tout de même pas très courant de rencontrer sur le net et surtout, en français...
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