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lundi 21 décembre 2009

DiabolikZine n°4 - Spécial Blaxploitation

Un peu de pub pour le fanzine DiabolikZine 4 entièrement consacré à la Blaxploitation (plus de 130 pages), voilà le sommaire pour vous allécher :
- Introduction (8 pages)
- Polars Urbains et Nouveaux Héros (Polars urbains, Shaft et les nouveaux héros, Superfly, les macs et le besoin de se révolter : 30 pages)
- Les 3 démolisseurs (Fred Williamson, Jim Brown, Jim Kelly : 30 pages)
- Les Panthères de Harlem et d’ailleurs (Pam Grier, Cléopatra Jones et les Dynamites girls : 20 pages)
- Black Fantastik Movies (6 pages)
- Diversité et Variété (Diversité & variété, Rudy Ray Moore, les comédies de Sidney Poitier, Michael Schultz et Richard Pryor : 36 pages).

Alors pour plus d'infos :le site de DiabolikZine...

vendredi 18 décembre 2009

Sidney Poitier, un outsider à Hollywood

Après ce rapide tour d'horizon de trois films qui synthétisent pour moi assez bien l'évolution de Sidney Poitier, je vous propose ce petit docu fort intéressant "Sidney Poitier. An Outsider in Hollywood".
C'est un documentaire français de Catherine Arnaud qui retrace la carrière de Poitier et son évolution d'acteur prometteur mais gentillet, "déracialisé", désexué, relativement insipide, à acteur/réalisateur conscient et participant aux combats pour l'égalité et les droits civiques...


Poitier résume très bien sa démarche de réalisateur : "Les gens veulent voir autre chose et ils l'expérimentent aujourd'hui. Il n'y a plus le même enthousiasme pour les films de la blaxploitation même si à une époque ils ont répondu à un besoin. On veut des films qui parlent des gens qui sont noirs mais qui ne correspondent pas à des stéréotypes comme la prostitution, le détective macho qui pase son temps à taper sur les Blancs. des films avec de vrais personnes qui ont des espoirs et des rêves, des moments de bonheur et de déception, qui aspirent à des joies simples, tangibles, des joies auxquelles tout le monde aspire: un peu de paix, de sécurité, d'amour, de chaleur humaine, d'affection, de tolérance."



Les grands films de Sidney Poitier sont évoqués (dont les trois que j'ai chroniqué ces dernières semaines : Guess Who's Coming To Dinner, In the Heat of the Night et Buck And The Preacher), décryptés par le spécialiste du cinéma noir Donald Bogle ou encore l'acteur/réalisateur Dany Glover.



Angela Davis et Kathleen Cleaver, membres de Black Panther Party, apportent quant à elles un point de vue plus politique et social avec leurs témoignages sur une époque ou cinéma et lutte pour les droits civiques se sont mutuellement nourris.

Allez, bon visionnage...

lundi 14 décembre 2009

Buck And The Preacher

Et voilà que notre Sidney se lance dans la réalisation avec ce western de derrière les fagots. Titré en français Buck et son complice, Poitier s'offre un rôle à sa mesure, un héros qui se défend par tous les moyens nécessaires et sort définitivement des rôles de gentil docteur, de mari désexué et d'icône intégrationniste.

BUCK AND THE PREACHER - Sidney Poitier (1972)


Buck (Sidney Poitier) est un cowboy. Il escorte les caravanes d'Afro-Américains fraîchement affranchis qui cherchent des terres et goûtent une liberté fraîchement acquise. Mais il est aussi poursuivi par Deshay (Cameron Mitchell) qui a juré sa mort. Un jour, tentant d'échapper à ses poursuivants, Buck vole le cheval d'un drôle de prêtre (Harry Belafonte)... qui devient vite son compagnon de route. Ensemble, en déjouant les pièges, Buck et "the preacher" vont tenter de sauver leurs peaux tout en aidant le convoi à traverser la plaine.Ce premier film de Sidney Poitier en tant que réalisateur est une vraie réussite !
Tous les ingrédients du western sont là : chevauchées soulevant des nuages de poussières, canyons, villes étouffantes, fusillades, Indiens et attaque de banque... De la maquerelle au shériff sympa, en passant par le banquier chétif, tous les rôles sont là. Mais les stéréotypes véhiculés par les John Ford ou Wayne sont bien loin ; les Noirs ne sont pas que des domestiques ignares aux yeux globuleux et les Indiens des anthropophages à plumes.
Poitier s'en sort à merveille dans un rôle plus musclé que ce qu'on lui donnait jusqu'alors. Harry Belafonte est -toujours- génial, inquiétant et sympathique à la fois, sortant son flingue de sa bible. L'acteur de film B, Cameron Mitchell entame ses rôles de méchants -vous aurez compris que c'est le Blanc :-) - dans la blaxploitation (Slaughter ou The Klansman) et il fait ça plutôt bien. On peut regretter que Ruby Dee (qui joue la compagne de Poitier) se retrouve dans un rôle un peu secondaire, Poitier ne pousse malheureusement pas la déconstruction des stéréotypes jusqu'à offrir un rôle intéressant à une femme...
On retrouve aussi Tony Brubaker dans un petit rôle (le chef du convoi) et qui assure les cascades dans Come Back, Charleston Blues ou Detroit 9000, joue dans Cotton Comes to Harlem, Slaughter's Big Rip-Off, Black Gunn, Sugar Hill, Black Samson, The Soul of Nigger Charley, Friday Foster...
A signaler aussi, une légende du cinéma noir en la personne de Clarence Muse (une carrière qui commence en 1929, avec près de 150 films ou séries, dont Car Wash) dans le rôle d'un vieillard, un peu sorcier.

Le film commence par cette explication :
"The Civil War was over and by law the slaves were freed.
But when the promise of land and freedom was not honorated,
many ex-slaves journeyed out the land of bondage
in search of new frontiers, where they could free at last.

They placed their hopes in the hand of the few black
wagonmasters that knew the territory of the West.
None of this came easy, for not only did they have
to overcome a hostilewilderness,
but night riders and bounty hunters were hired,
by “persons unknown” to hunt them down
and turn them back to the fields.

This picture is dedicated to those men, women and children
who lie in gravesas unmarked as their place in history. "

Let's Do It Again

Après le succès d'Uptown Saturday Night, Poitier remet le couvert avec son complice Cosby et il signe là sa meilleure comédie.

LET'S DO IT AGAIN - Sidney Poitier (1975)

Clyde Williams et Billy Foster (Sidney Poitier & Bill Cosby) sont deux amis. Clyde est laitier et Billyest dans la manutention ; ils sont respectivement chef de la sécurité et trésorier de la paroisse dirigé par le révérend Elder Johnson (Ossie Davis). Et ils doivent réunir 55000 $ pour en empêcher la destruction.
Ils profitent d'un voyage à New Orleans avec leurs femmes (Denise Nicholas & Lee Chamberlin) pour mettre sur pied un plan burlesque. Avec 20000 $ déjà récolté pour l'église, ils misent sur un combat de boxe.
Ils utilisent l'hypnose pour rendre invincible un boxeur chétif et parient sur son improbable victoire et en profitent pour raffler la mise après avoir escroqué de gros bonnet concurrents : Kansas City Mack (John Amos) et Biggie Smalls (Calvin Lockhart)
Mais six mois plus tard, KCM et ses hommes retrouvent nos deux compères ; ils ont éventé la combine et les obligent à répéter leur numéro d'hypnose...

Poitier reprend et pousse à son meilleur niveau la recette qui avait si bien marché dans Uptown Saturday Night : des personnages principaux simples et au grand cœur, qui se retrouvent dans une arnaque qui les dépasse. Nos deux pieds-nickelés multiplient les péripéties (Sidney Poitier en costume typique de mac', c'est une image qui vaut son pesant d'or !) et le tandem fonctionne à merveille : le flegme exagéré de Poitier compense l'intarissable flot du désopilant Cosby (dont vous verrez un grand moment ci-dessous).

Le film marque durablement les consciences, à l'image de la légende du rap "east coast" Notorious Big, qui utilisa le nom de Biggie Small, en référence au le malfrat campé par Calvin Lockhart.
Servi par une pléiade d'acteurs géniaux (sans doute un des meilleurs casting avec Friday Foster) qui apportent beaucoup au succès du film, campent des personnages exhubérants et prouve par là-même leur grande qualité de composition : Calvin Lockhart, Ossie Davis, Denise Nicholas, John Amos.
Un peu plus effacé dans des rôles subalternes, on trouve Julius Harris, Lee Chamberlin, Mel Stewart, Paul E. Harris, Val Avery, Doug Johnson, Talya Ferro et Morgan Roberts. Les cascades sont assurés par une équipe de choc : Bob Minor bien entendu, Gene LeBell, Jophery C. Brown et Henri Kingi.
Enfin, le film bénéficie en plus d'un soudtrack endiablé signé Curtis Mayfield et interprété par les Staple Singers.

Autant d'argument qui en font une des meilleures comédies de la vague blaxploitation !

dimanche 13 décembre 2009

Comme quelque chose de pourri qui flotte dans l'air...

Entre deux chroniques de films, il m'arrive de m'intéresser à l'actualité ; et même d'essayer à mon humble niveau d'influer sur le cours de choses, de lutter contre le capitalisme qui broie les femmes et les hommes, le capitalisme qui traite les travailleurs comme des marchandises jetables tandis que quelques profiteurs s'enrichissent sur notre travail et notre misère...

Et tandis que la crise qu'ils ont provoquée par la recherche effrénée de leurs profits offre chaque jour son cortège de chômeurs et de suicidés au travail, le gouvernement français joue la plus vieille carte qui puisse exister pour diviser nous diviser : le racisme !
Les vannes sont ouvertes : les minarets, la burqa, le "tribalisme" et le "communautarisme" fantasmés par Sarkozy, des ministres affirmant que si les Allemands avait fait un débat sur leur identité dans les années 30, il n'y aurait pas eu le nazisme, les propos de comptoir valorisés par Besson, et tous ces vieux racis qui peuvent déverser leur racisme pathologique sous les ors de la République...
On se dit quand même que le fond de l'air est nauséabond, qu'il y a comme quelque chose de pourris au "pays des droits de l'Homme", comme un air de déjà vu qu'on veut plus voir.

Alors en ces temps moroses, la moindre éclaircie est bonne à prendre, surtout quand elle appelle à la résistance et au combat, et je dois avouer que la sortie de Cantona sur l' "identité nationale", c'est toujours ça de pris...

vendredi 4 décembre 2009

In the Heat of the Night

Pour continuer sur la lancée des films de Sidney Poitier, après le propret et gentillet Guess who's coming to diner, les trois prochains films que j'aborderai sont emblématiques des phases qu'à traverser Poitier, du gendre idéal poli et désexué en un héros fort et indomptable (qu'il produira et mettra lui-même en scène).
Sorti en France sous le titre Dans la chaleur de la nuit, ce film fait parti de ces précurseurs -un peu involontaires- de la Blaxploitation.

IN THE HEAT OF THE NIGHT
Norman Jewison (1967)




Une petite ville du Mississippi -le Sud profond, quoi- l'officier de police Sam Wood patrouille et découvre un macchabée. Il tombe sur un Afro-Américain qui attend le train, et se trimballe avec de l'argent... Le coupable est tout est tout trouvé.
Sauf que c'est de Virgil "they call me Mr." Tibbs (Sidney Poitier), de la brigade criminelle de Philadelphie. Sommé de collaborer à l'enquête, voilà Virgil Tibbs, aux cotés du shérif Gillepsie (Rod Steiger), un gars bourru mais finalement sympathique, enquêtant dans ce patelin remplis de rednecks, d'histoires pas claires et de vieux réflexes sudistes (lynchages, exploitation dans les champs de coton, viols...).
Premier d'un tryptique inégal (puis d'une série TV) avec le personnage de Mister Tibbs, ce In The Heat of the Night est vraiment excellent.
L'ambiance du Sud est pesante, on la ressent, comme la chaleur à l'écran. Cette ville est pleine de rednecks, où le shériff est aux ordres d'à peu près tout sauf de la loi. Et Poitier s'en tire à merveille et se fait respecter dans cette ambiance (la baffe magistrale que prend le propriétaire des champs de coton ). Même si le personnage n'est pas parfait, Poititer se voit enfin confier un rôle à sa mesure de grand acteur, un vrai premier rôle dans un vrai polar.
Le scénar' est bien ficelé, et c'est Stirling Silliphant (The Liberation of L.B. Jones ou encore Shaft In Africa) qui est derrière le crayon.
Rajouter à ce cocktail explosif la BO de Quincy Jones et ça nous fait un très bon film !!
Il sera sacré "meilleur film" aux Oscars de 67, et recevra aussi deux autres statuettes pour le "meilleur montage" et le "meilleur mixage son". On remarque l'absence de Poitier au palmarès. Le film recevra aussi trois Golden Globes : "meilleur film dramatique", "meilleur scénario" et "meilleur acteur dans un film dramatique"... pour Rod Steiger (le Shérif). Poitier ne sera jamais récompensé pour ses rôles d'homme "normal", seul ses rôles bonhommes lui vaudront les honneurs officielles de la profession, étonnant, non ?

mercredi 4 novembre 2009

Guess Who's Coming To Dinner

Au chapitre des films sur les couples mixtes, le plus emblématique est sans doute Devine qui vient dîner de Stanley Kramer, avec le gendre idéal Sidney Poitier. Le film détonnait par son sujet, alors (déjà ?) tabou aux Etats-Unis où les Afro-Américains étaient encore soumis à la ségrégation. Mais à y regarder de plus prêt, malgré un antiracisme libéral -pas au sens de DSK ou de Sarko, hein ?!, plutôt de la gauche américaine blanche et aisée- il n'évite pas les pièges ni les caricatures séculaires (modernisées ici) de l'Oncle Tom ou de la Mammy...

GUESS WHO'S COMING TO DINNER
Stanley Kramer (1967)


Joey et John (Sidney Poitier), un jeune couple mixte, arrive en Californie pour faire accepter leur mariage à leurs proches. Les parents de Joey -farouchement antiracistes dans la théorie- qui trouvent toutes les raisons pour empêcher le mariage, et ceux de John (Roy Glenn & Beah Richards) qui s'y opposent farouchement. Et sans en dévoiler beaucoup, le film se termine sur un happy end.

Le scénario apparaît plutôt progressiste, mais, c'est l'idéologie du film qui est beaucoup plus intéresante à disséquer, en particulier le personnage de Poitier.D'abord, Joey présente John à tout le monde par son métier, « Docteur Prentice », donnant, par ce biais, le change face à sa « négritude » et les présupposés sociaux qui l’entourent. On apprend aussi que John Prentice n’est pas un simple docteur : il est spécialiste en médecine tropicale, connu du Doyen de l’Université de Hawaï, il a un ami dans la fac de Columbia, il a été enseignant à Yale et à Londres et a publié plusieurs ouvrages faisant référence, John est aussi directeur adjoint de l’OMS. Ces précisions sont égrenées tout au long du film, et ce n’est jamais John qui parle de lui-même. Elles ont pour fonction subjective de rassurer parents ou amis sur les qualités de cet « homme de couleur » (et plus encore le public, rappelant inlassablement que ce personnage est un Noir respectable).

Ainsi, dans un article sur Poitier (CinémAction, n°66), Sam Kelley explique que « Guess Who's Coming to Dinner provoqua la colère de nombreux Noirs qui considéraient comme une insulte le fait que le héros de race noire dût exhiber toutes les perfections alors que sa fiancée de race blanche n'en possédait aucune en particulier. »

Mais ce qui saute le plus aux yeux, c'est que Prentice/poitiers est complètement désexué
Les gestes d'amour relève du platonique, voire de la niaiserie : ils s’enlacent, se tiennent la main, la taille, se caressent amoureusement le visage,... Le plus chaud de leur relation à l'écran réside en un baiser sur la bouche (et encore sou le regard bien veillant d'un chauffeur de taxi
Comme pour appuyer la chasteté de son compagnon, Joey dit clairement à sa mère qu’ils n’ont pas couché ensemble et précise : "Il n’a pas voulu, c’est comme s’il craignait de me faire mal".

Le personnage de Tillie (Isabell Sanford) est lui aussi parlant : Tillie est une mammy moderne, elle en a tous les attributs physiques et moraux. Elle est forte, d’un certain âge et parle d’une voix grave. Elle porte un tablier. Elle a un caractère sec et entier. Certains « tics » sont semblables : attitude cambrée, main sur les hanches en signe de défit et de maîtrise… Elle est souvent dans la cuisine ou en train de faire le service (jusqu’à la dernière phrase du film, où après un prêche antiraciste du père de Joey, celui-ci lui dit « Alors Tillie, il est prêt ce dîner ? » - avouons que c'est assez symptomatique du paternalisme du film).Tillie ne cache pas son inimitié pour « le docteur Prentice », et plus généralement son attitude est hostile à tout métissage relationnel, sous prétexte qu’elle a "horreur qu’un homme de [sa] race se prenne pour ce qu’il n’est pas". Le réalisateur lui fait mélanger, avec un mépris identique, « les droits civiques », le pasteur King et "ces nègres fanfarons" adeptes du Black Power "qui fait du grabuge".

D'autres détails mettent la puce à l'oreille sur le progressisme limité du film et indique encore sûrement à quel public veut plaire le réalisateur. Ainsi, comme pour bien signifier que le racisme est quelque chose de bien partagé entre les Noirs et les Blancs, la famille de Prentice/Poitier est beaucoup plus opposée au mariage (et avec des arguments des plus rétrogrades) et cest le gentil Spencer Tracy qui fait un long monologue moraliste qui les convainc finalement...

A signaler tout de même, une brève apparition de D'Urville Martin...

En bref, tout en dénonçant les « préjugés raciaux », sur deux personnages noirs importants, Guess who’s coming to dinner nous présente deux figures issues de vieux stéréotypes, et accompagne la relation interethnique qu’entretiennent John et Joey d’une distanciation forcenée -et répétitive- entre John et un Noir dangereux, politiquement et sexuellement. Voilà donc un film hollywoodien qui s'adresse exclusivement la bourgeoisie blanche bien-pensante des années 60. Lorsque Poitier s'émancipera ces rôles gentillet et inoffensif, ce sera lui qui passera dernière la caméra...
...mais ce sera pour les prochains billets.

lundi 2 novembre 2009

Crooklyn

Comme dans Do the Right Thing, Spike Lee filme avec amour la vie dans le quartier de Bedford-Stuyvesant, mais cette fois dans les années 70...

CROOKLYN - Spike Lee (1994)


Eté 1973, Bedford-Stuyvesant, un quartier de Brooklyn à New York.
Carolyn Carmichael (Alfre Woodard) essaie tant bien que mal d'éduquer ses nombreux et turbulents enfants, en composant avec son mari Woodrow (Delroy Lindo), musicien sans le sou. Pour les enfants, le quotidien est fait de jeux, de discussions sur le perron de l'immeuble, de saut à la corde, de matchs de basket à la télé...
Mais le couple Carmichael peine à joindre les deux bouts, et s'engueulent fréquemment. Un jour, les parents profitent d'un voyage dans la famille de Woody pour y laisser leur fille Troy (Zelda Harris) quelques temps. La petite déteste Tante Song (Frances Foster) et son affreux chien, et à son retour à Brooklyn, le quotidien de la famille va changer...
Deux ans après sa fresque historique Malcolm X, Spike Lee livre là un film semi-autobiographique, tour à tour comique, intimiste et dramatique. Joie et Cinqué Lee (la sœur et le frère de Spike) co-écrivent le scénario avec lui.
On sourit en voyant le jeune qui rappelle Spike Lee, avec ses lunettes énormes et déjà fan des Knicks. La musique originale est signée Terence Blanchard ; mais le film est surtout rythmé par les hits de l'époque : "Pusherman" de Curtis Mayfield, "Hey Joe" d'Hendrix, "ABC" des Jackson 5, le thème de Shaft. C'est aussi l'occasion de voir des épisodes de "Soul Train", des pubs d'époque, des affiches de Muhammad Ali contre Frazier...

Malgré des débuts prometteurs (3ème au box-office), il peine à rentrer dans ses frais. Il faut dire que le film n'atteint pas les qualités des précédents, le scénario est parfois décousu et l'effet voulu de déformation de l'image (lors de toutes les scènes où Troy est chez sa tante) est assez désagréable. Cependant, cette comédie dramatique reste intéressante tant visuellement qu'au niveau de l'histoire, et à la façon presque sociologique dont Spike Lee filme Bedford-Stuyvesant et ses habitants. Ici, il n'y a pas de caïds ultra-classes, de drogués heureux ou des pimps rutilants. Juste des gens normaux essentiellement afro-américains, mais aussi asiatiques, italos, latinos...

Un petit mot pour celui qui incarne le père : Delroy Lindo est un acteur qu'on croise rarement (Malcolm X, Clockers, le téléfilm Soul of the Game, Romeo Must Die...) mais il dégage de lui un charisme rare et son interprétation apporte beaucoup au film.
Robi Reed dirige toujours le casting, mais l'on retrouve peu des acteurs fétiches des films précédents. Spike s'octroie un tout petit rôle de junkie, se croisent aussi Isaiah Washington, Ivelka Reyes, Vondie Curtis-Hall, Joie Lee, Bokeem Woodbine, Harvey Williams, Peewee Love, Rich Pierrelouis, Zay Smith (qui rejoue seulement dans Miracle at Santa Anna et est embauché comme assistant stagiaire sur Inside Man).
En plus quelques anciens : Frances Foster (qui débute dans Take a Giant Step, joue 20 ans plus tard dans A Piece of the Action, puis apparaît essentiellement dans des séries), Arthur French (Car Wash, The Wiz, Fingers, A Hero Ain't Nothin'...) et Norman Matlock (dont le premier film est le mythique Across 110th Street).
C'est le premier film sans Ernest R. Dickerson à la photographie, il est remplacé par Arthur Jafa (plutôt habitué des documentaires, il tient le même poste dans Daughters of the Dust et dirige la seconde équipe sur Malcolm X).

jeudi 29 octobre 2009

Jungle Fever

Grand succès commercial (le budget de production de 14 millions de dollars rapporte plus de deux fois plus), voilà encore un film du" Woodie Allen noir" qui fît couler l'encre des râleurs.. Mais toujours pas l'ombre de racisme ou de mysogynie, juste un regard personnel et non édulcoré.

JUNGLE FEVER - Spike Lee (1991)

Flipper Purify (Wesley Snipes) est un bon père de famille. Dans sa boîte d'architectes, une nouvelle secrétaire Italo-Américaine (Annabella Sciorra) est engagée alors qu'il avait demandé une Afro-Américaine. Cet épisode lui démontre qu'il n'est pas pris au sérieux dans cette entreprise dirigée par des Blancs (dont il est pourtant un des principaux maître d'oeuvre) ; et, en même temps, il couche avec Angie, cette nouvelle secrétaire.
C'est le début de la descente aux enfers pour Flipper : quitté par sa femme (Lonette McKee), sévèrement jugé par ses amis, mis au ban par son père (Ossie Davis)... Angie, elle, est battue et insultée par son père, expulsée de chez elle, elle est aussi jugée par ses proches.
On assiste en parallèle à une autre lente descente aux enfers. Celle de Gator (Samuel L. Jackson), le frère de Flipper, qui sombre dans la drogue...
Régis Dubois (dans Le cinéma des Noirs Américains, entre intégration et contestation) résume parfaitement le film : "Jungle Fever fait, à l'instar de ses protagonistes, le constat amer du racisme aux Etats-Unis. C'est un drame urbain âpre et sans concession, provocateur et dérangeant, qui offre une vision on ne peut plus pessimiste des relations interraciales, doublée d'une exploration tout aussi pessimiste et alarmante des ravages de la drogue".

Rien n'est complaisant, comme d'habitude. Spike Lee met en avant une multitude position sur les relations interraciales : les plus bêtement racistes (la plupart des Italo-Américains), les fantasmes, les jugements moraux (le père de Flipper), les interrogations des femmes noires (ce qui donne lieu à une scène géniale), les romantiques qui se foutent de la couleur (le pauvre Paulie -John Turturro- finalement un des héros du film)...
Comme dans School Daze, Lee plonge aux tréfonds de la conséquence de plusieurs siècles d'esclavage et de séparation : les différences de teinte de peau, et leur importance (étonnante et mésestimée de notre coté de l'Atlantique) dans les relations sociales.
Pas de réponses, juste des pistes, des mises en garde loin "des films de Walt Disney" comme le dit Flipper.

L'humour est au rendez-vous. La patte de Spike Lee est toujours présente avec ses rouges saturés, ses décors qui défilent sans que les personnages bougent, son attrait pour filmer les corps (dont une scène d'amour interraciale inédite et révolutionnaire pour l'époque)...
Le générique est excellent ; la caméra de Lee nous fait traverser Harlem (en tout cas, sa version de Harlem), tandis que des panneaux de signalisation en surimpression annoncent le casting.

Gros casting d'ailleurs : Wesley Snipes dans le rôle principal (que l'on avait vu dans le précédent Lee, Mo' Better Blues), Annabella Sciorra, Halle Berry dont c'est le premier long métrage, le grand Anthony Quinn qui joue le père de John Turturro (Spike Lee lui donne là le meilleur rôle de leur longue collaboration, avec peut-être son interprétation du parrain dans She Hate Me), Samuel L. Jackson (pour sa dernière collaboration avec Lee, il gagnera avec ce rôle le "meilleur second rôle" du Festival de Cannes).
Il y a aussi la toujours splendide Lonette McKee -qui débute au crépuscule de la blaxploitation dans Sparkle et Which Way Is Up ? puis Cotton Club, Malcolm X, Men of Honor, ATL-, la rappeuse Queen Latifah, Tyra Ferrell, Charles Q. Murphy, Theresa Randle... Et, comme dans Do the Right Thing, on retrouve LE couple du cinéma noir : Ruby Dee et Ossie Davis.
Coté blanc et latino, citons Miguel Sandoval et Rick Aiello dans le rôle des flics (les officiers Ponte et Long, comme dans Do the Right Thing), Tim Robbins, Frank Vincent...
Bref, un bon Spike Lee, et de toute façon, un incontournable.

mardi 13 octobre 2009

He Got Game

Lee surfe sur la surexpostion mondiale du basketball et comme beaucoup d'autres (on pense à Space Jam ou The Sixth Man) se plie à la mode. Le résultat est magistral...

HE GOT GAME - Spike Lee (1998)

Jake Shuttlesworth (Denzel Washington) est en prison pour meurtre... Mais le directeur, sous les ordres du gouverneur, lui offre un permission d'une semaine avec à la clé une libération totale. Sa mission : convaincre son fils Jesus (Ray Allen), un basketteur prometteur, de rejoindre la Big State University et d'y intégrer l'équipe de basket.
Y arriver confine au miracle. D'une part parce que le jeune prodige des parquets est courtisé par tous les coachs du pays, "conseillé" par sa petite amie Lala, son oncle Bubba, son pote Big Time Willie (Rosario Dawson, Bill Nunn & Roger Smith Guenveur)... Tous les procédés sont bons pour recruter Jesus !
D'autre part Jake était en prison pour le meurtre de sa femme, la mère de Jesus...
6 ans après Malcolm X, Spike Lee et Denzel Washington se retrouvent pour un drame social avec en toile de fond le trouble milieu du baskettball universitaire. Le sujet semble moins percutant que la biographie du leader assassiné, pourtant le réalisateur new-yorkais livre un film presque parfait (s'il n'y avait pas quelques longueurs) et Denzel Washington est tout simplement brillant

Lee mutiplie les segments, alterne les ambiances et les contrastes comme le présent et les flash-back, il enrobe ses personnages de ses travelling si personnels et fait la part belle aux dialogues. La mise en scène est splendide, le montage parfait, la direction d'acteurs est au niveau. Pour preuve la performance de Ray Allen, jeune basketteur des Bucks de Milwaukee choisi par Lee en personne ; ce dernier mise beaucoup sur le réalisme et tient absolument à décrocher un joueur en activité pour tenir le rôle de Jesus et, après de nombreuses auditions, il insiste pour faire des essais avec Ray Allen.

He Got Game est un drame, un film sombre qui dresse un tableau bien négatifs des rapports humains et de la cupidité.
Comme d'habitude, en tout cas dans les meilleurs films du maître Lee, il y a peu de personnages "bons" ; tous sont traversés d'envies, de névroses, d'égoïsme comme d'altruisme... Toutes et tous essaient ici d'influencer le jeune Jesus selon les bénéfices qu'ils espèrent en tirer. Et s'il ne prend pas position, comme à son habitude, pour un de ses caractères Spike Lee dresse un tableau sans concession sportif et si dénonciation il y a, elle est systémique.
Encore une fois, il est presque risible de voir, dans les commentaires sur diverses plate-formes, comme certains ne voient Spike Lee que sous la lorgnette ethnique, et arrivent à trouver des passages racistes dans chacun de ses films. A l'opposé de ces faux procès improbables, He Got a Game compte parmi ses meilleurs projets.
Spike Lee décroche des caméos de Michael Jordan, Scottie Pippen, Shaquille O'Neal et d'autres moins connu.

Il s'appuie toujours sur sa garde rapprochée : pour ce qui de la partie technique et artistique on retrouve le directeur artistique Wynn Thomas, le monteur Barry Alexander Brown, les chefs opératrice Ellen Kuras et Malik Hassan Sayeed, la directrice de casting Aisha Coley...
Pour la distribution, si le casting s'étoffe de la présence de Milla Jovovich et Rosario Dawson, on retrouve toujours la bande chère à Spike Lee : Thomas Jefferson Byrd, John Turturro, Roger Guenveur Smith, Bill Nunn, Lonette McKee, la petite Zelda Harris, Joseph Lyle Taylor, Hill Harper, Arthur J. Nascarella...

lundi 12 octobre 2009

School Daze

Deuxième film pour Spike Lee, et nouveau succès. Le jeune réalisateur pioche de-ci de-là : film humoristique, comédie musicale, teen movie, drame...

SCHOOL DAZE - Spike Lee (1988)



Vaughn "Dap" Dunlap (Laurence Fishburne) organise des manifs pour demander le retrait de fonds d'Afrique du Sud au Mission College, son unviersité. Mais il n'y a pas que des activistes à Mission, il y a aussi les fraternités et en particulier les Gamma Phi Gamma et leur pendant féminin, les Rayons Gamma, dirigés respectivement par Julian Eaves et Jane Toussaint (Giancarlo Esposito & Tisha Campbell). Les militants, à la peau plus foncée, les surnomment les "wannabes", et sont traités en retour de "jigaboos".
Mais pour corser le tout, la petite amie de Dap, Rachel (Kyme), veut intégrer une fraternité féminine et son cousin Half-Pint (Spike Lee) ses ennemis jurés des G-Phi-G. Et les revendications et les manifs commencent à inquiéter l'administration...
Le scénario est issu de l'expérience personnelle de Lee, lorsqu'il étudiait au mythique Morehouse College d'Atlanta. A la sortie du film, de nombreux directeurs d'universités noires se sont indignés de l'image véhiculée par le film. Et il faut dire que le tableau présenté est peu reluisant, en particulier en ce qui concerne les fraternités "grecques" présentées sous un angle bien peu engageant.
Les rapports de classe et de sexe sont détricotés selon le prisme racial, et en particulier le degré de pigmentation des étudiants. Plus qu'il ne dénonce, Spike Lee fait un état de la situation ; rien n'est facile et manichéen. Lorsque le propos se fait sérieux, Lee n'impose pas un point de vue, il en propose plusieurs. Bien sûr, comme dans Do the Right Thing, il montre sa préférence (incarnée dans le personnage de Laurence Fishburne et non lui-même, plus sujet à controverses), mais tout en laissant le spectateur faire son choix, en respectant par sa réalisation chacun de ses acteurs.

La réalisation justement est sublime. Tout semble millimétré, les ambiances différentes pour chaque saynète, les scènes de sexe sont suggestives, certaines à la limite du burlesque, celles de comédie musicale sont particulièrement réussies (à l'image de celle que je ne résiste pas à vous faire partager ci-dessous). Lee réussit même la performance d'une séquence de football sans jamais filmer le jeu lui-même. Bref, on sent poindre dans ce film les talents de mise en scène du "Woody Allen noir".
En plus, le tournage épique. Lee a fait installé les deux équipes dans des hotels différents : ceux qui incarnaient les "wannabes" avaient droits aux meilleures places et traitements, à l'inverse des "jigaboos". Le résultat renforce le réalisme : lors d'une scène, une bagarre éclate réellement entre les deux équipes et Lee laisse tourner les caméras...

Spike Lee met peu à peu en place son réseau d'acteurs et de techniciens : Bill Nunn, Samuel L. Jackson, Roger Guenveur Smith, Giancarlo Esposito, sa soeur Joie Lee et son frère Cinqué, Ossie Davis, Art Evans, Tyra Ferrell, les producteurs Monty Ross et Loretha C. Jones, Le chef opérateur Ernest Roscoe Dickerson, la directrice de casting Robi Reed, la costumière Ruth E. Carter, le monteur Barry Alexander Brown, le directeur artistique Wynn Thomas...
Niveau casting, il faut encore citer Kadeem Hardison, Kasi Lemmons qui deviendra réalisatrice entre des excellents Eve's Bayou et Talk To Me, la ravissante Tisha Campbell qui s'imposera dans de nombreuses productions afro-américaines, Joe Seneca, Alva Rogers et bien sûr l'acteur principal Laurence Fishburne qui débuta en 1975 dans Cornbread, Earl and Me, est aujourd'hui un acteur incontournable et reconnu pour ses rôles d'Ike Turner dans Tina, du père protecteur dans Boyz N the Hood, du gangster mythique Bumpy Johnson dans Hoodlum et de Morpheus dans la trilogie Matrix.